J’ai fait le con

Les emplettes des Fêtes peuvent me heurter dans le corps d’une manière désagréable. Trop d’achalandage, trop de bruit, les sens stimulés à la corde par la musique, les conversations… Vous connaissez ? C’est l’enfer pour moi. Voilà pourquoi j’évite tous les IKEA et les Costco aux heures où l’achalandage est à son plus fort. Sauf que pour Noël, il faut plonger, peu importe l’heure.

C’est samedi. Laurent a encore quelques cadeaux à acheter avant que l’on quitte pour le nord. Sa liste est fin prête avec tout l’espace voulu pour cocher dès que l’item recherché sera trouvé : un cadeau à Maëlle, un cadeau à Fluffy et Lillo, des chiens que mon fils aime et respecte beaucoup, le cadeau à Sophie et le mien. En ce qui me concerne, je lui propose que l’on regarde sur place au Archambault des Halles d’Anjou. Il pourra les ajouter à sa guise sur sa précieuse liste.

Jusqu’ici tout va bien. Nous travaillons sur l’autonomie, sur la manière de bien respecter son budget (un gros défi), s’orienter adéquatement dans un magasin, etc. Bref, ce sont des emplettes constructives ! Ce que j’aime au Archambault des Halles, c’est sa largeur. C’est parfait pour Laurent qui marche toujours d’un pas décidé d’un point A à un point B, parfois sans se soucier des « obstacles » devant lui, c’est-à-dire les gens.

Dans les Halles, je n’avais pas réalisé que ça bourdonnait comme dans une ruche. À mon sens, le site m’apparaît plutôt mal configuré, avec des tables là où il ne devrait pas y en avoir. Lire ici des tables dans le chemin, qui empêchent de bien circuler ou du moins qui confrontent ma propre définition de bien circuler… Je me sens mal à l’aise à l’idée que Laurent bouscule sans le vouloir. À voir la mine des consommateurs pressés, cela pourrait en froisser certains ou certaines. Sans doute avec raison, sauf que l’excuse de l’autisme risque de ne pas passer…

Cela s’est quelque peu envenimé au Renaud-Bray des Galeries d’Anjou. On ne peut prendre son temps pour bien regarder les titres, vérifier ce qui nous reste d’argent pour compléter les achats pour Sophie, s’assurer que Sophie aimerait ou non le livre que je suggère à Laurent, etc.

Prendre tout le temps voulu pour faire un achat éclairé, c’est quelque chose qui ennuie Laurent. Il faut aller vite ! Je lui propose un livre ? Alors OK, c’est CE LIVRE qu’il faut prendre, pas la peine de vérifier, de contre-vérifier, de consulter un autre présentoir pour se demander si un autre titre serait mieux. Pareil dans la liste. Je lui ai donné quatre suggestions de cadeaux pour moi et je sais pertinemment qu’il a opté pour celle en tête de liste. C’est logique et c’est parfait ainsi. Ne pas se compliquer la vie, telle est sa devise.

Prendre son temps, ce n’est pas non plus le moment parce que ça bouge trop vite et, avec le recul nécessaire pour écrire ce texte, je réalise que Laurent voulait régler son achat le plus rapidement possible pour, justement, sortir de ce capharnaüm de gens qui l’étourdissait. Je ne peux le blâmer parce que moi aussi, ça me pèse !

Aux yeux des neurotypiques qui gravitent autour de moi, ce n’est pas le moment de faire de la pédagogie. Je gêne leur moment, je gêne leur mouvement. La panique monte un peu.

Derrière nous, un monsieur marche rapidement dans l’allée. Sauf que je vais devoir m’arrêter avec Laurent pour consulter qui sont sur l’étagère. Que va-t-il se produire ? Dans ma tête, je suis déjà en état d’anxiété avancé. Je me prépare à des bras en l’air, un regard de merde, un « excusez-moi » qui trahit un manque de patience à notre égard.

-Oups! Attention Laurent, le monsieur veut passer, vient là.

Je sens que nous dérangeons. Cela m’énerve, je ne sais plus où me mettre. La panique monte d’un cran.  J’ai encore en tête ma mauvaise expérience aux Halles d’Anjou. De ce monsieur « indigné » de lui avoir bloqué le chemin -il aurait pu me contourner tout simplement- parce que Laurent s’était arrêté un peu brusquement pour se rassurer que nous irions acheter des beignes après avoir trouvé une carte de Noël pour Sophie. J’ai encore en tête certains regards chiants au Archambault aux mêmes Halles.

-Nous sommes désolés, monsieur. Laurent vient ici, on va laisser passer le monsieur.

J’ai un ton posé, mais je suis tout de même stressé.

-Calmez-vous, tout va bien, nous sommes tous ici pour la même chose vous savez.

Du moins, ce qu’il m’avait dit ressemblait à ça et ça ne m’a pas tellement plu.

J’interprète son commentaire comme une manière peu polie de juger ma manière dont je gère la situation. Je pense décoder des reproches, une tentative de désamorcer une chicane qui, à mon avis, ne peut arriver puisque je ne cherche aucunement la confrontation. Comment ça la chicane ?!!? Mais je ne cherche pas la chicane ! Je ne suis pas énervé ! Je suis juste très mal à l’aise parce que je sens que je dérange. Le rythme de magasinage me rentre dans le corps et rentre aussi dans celui de Laurent.

Je tente de me calmer, mais en moi, un soldat n’écoute pas mes ordres de ne pas tirer tant que je n’en ai pas donner l’ordre. Là, c’en est trop. Je me souviens m’être éloigné et, le dos tourné, une salve est lancée. Elle est murmurée, mais tout de même catapultée : « de toute façon, mon fils est autiste, pas le vôtre ».

Je n’aime pas que l’on croit que je m’occupe mal de la situation. Fier de ma logique, je quitte la librairie en direction du David’s Tea parce que c’est ce que Laurent souhaite vraiment offrir à Sophie : de la bonne tisane pour relaxer et surtout faire relaxer ses symptômes de ménopause. Plus tard dans la voiture, je fais malgré moi un post-mortem parce que je suis fort mal à l’aise vis-à-vis mon comportement.  Ainsi donc, j’aurais dû m’écouter et de prendre une pause dans un coin tranquille avec Laurent avant de m’aventurer dans la librairie bondée et qui ressemble à une fourmilière.

Je finis tant bien que mal par oublier l’incident jusqu’au lendemain matin, alors que Sophie, qui dort mal ces temps-ci en raison ( la ménopause!!!), regardait une interview sur Ingrid Falaise. Je l’entends parler de son conjoint qui est père d’un enfant autiste… Merde alors ! Je suis peut-être à moitié endormi mais pas assez pour faire des liens étranges… Et si la personne que j’ai insultée était le conjoint de madame Falaise ???  Après avoir vérifié sur Facebook, je réalise avec effroi que… c’était effectivement lui. Et il a un fils autiste. Et il a participé à une série télé avec sa conjointe. Et c’était produit par Pixcom, la même boîte qui a produite Autiste, bientôt majeur. Il m’a sans doute vu dans le documentaire. Et vu Laurent.

Je me lève donc avec une profonde déprime d’avoir tirer sur quelqu’un qui est dans mon camp. D’avoir donné une mauvaise perception de moi. J’ai manqué de solidarité avec un père qui navigue dans le même bateau que moi.

Bref, j’ai fait le con. Sans jeu de mots, je me sens depuis comme un monstre. Si jamais il lit cette chronique, je veux qu’il sache que je m’excuse profondément.

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