Cher fils
Lundi dernier aura été ton dernier jour à l’école privée. À compter de mardi, tu es officiellement devenu élève de l’École secondaire d’Anjou. Une école publique. C’est mieux ainsi.
Drôle qu’une personne qui a fait toute sa scolarité au privé en arrive à cette conclusion, n’est-ce pas ? Je constate simplement que le secteur public est le mieux équipé pour scolariser adéquatement un autiste de haut niveau comme toi. C’est-à-dire que le secteur public est le plus apte à s’adapter à toi et non le privé. On l’a bien vu qu’après un mois, ton collège ne pouvait plus assurer ton éducation.
Ah! Le privé ! La supériorité du privé ! Les grands moyens du privé ! Les leaders de demain au privé ! Pour que votre enfant connaisse un avenir supérieur, allez au privé ! Et j’en passe.
L’école privée, mon cher fils, je la perçois comme une entreprise inscrite (ou non) en bourse. Autant celle que tu as fréquentée un mois que les autres. Les élèves sont les employés. Ils triment dur pour produire les meilleures notes, ce qui maintiendra leur institution dans le top 10 des meilleures écoles. Ainsi, leur directeur général sera des plus heureux. Parce que c’est tout ce qui compte à ses yeux, soit être parmi les meilleurs et… faire plaisir aux actionnaires de l’entreprise ou, si tu préfères, les parents.
Les dirigeants doivent toujours faire plaisir aux actionnaires. Ces derniers paient chers leurs actions dans “l’entreprise”… Donc, c’est clair qu’ils s’abrogent le droit de juger, d’exiger, de menacer avec des arguments massues comme « on paye pour que notre enfant ait la meilleure éducation », « mon argent je peux la dépenser dans une autre institution », et gna gna.
Cela stresse le directeur général. Mais pourquoi s’en fait-il ? Sa « boîte » a fait passer des « entrevues » aux candidats potentiels. Il n’a que les meilleurs qui bossent pour lui ! Alors il faut que ça aille rondement. Du travail ! Du travail ! Du travail ! On bourre les crânes, on donne deux heures de devoirs, on veut des notes hautes. Plus les résultats sont satisfaisants, plus l’école grimpe dans le palmarès, plus elle attire l’attention, plus elle est « spotée » par les meilleurs candidats.
Dans ce système, tu n’étais pas un employé ordinaire. En fait, tu venais un peu “nuire” à la “productivité” de “l’entreprise”. Mais comme toute entreprise fonctionne l’argent, on nous a fait miroiter des « moyens » mis en place pour t’aider. Ces moyens n’ont pas apporté les résultats escomptés. Alors plutôt que d’essayer autre chose, plutôt que de faire confiance aux professeurs, les « cadres » de l’entreprise, on a préféré te donner ton 4%… Tu nuis à l’avancement de l’école dans le palmarès.
Nous savons, ta mère et moi, que tu es un enfant intelligent. Eux ? Les bonzes de ton collège ? Ce n’est que l’autisme qu’ils voient. Et puisque tu dois obligatoirement coller à la mission de « l’entreprise », c’est-à-dire à leur mission éducative, c’est clair qu’ils doivent te laisser aller parce qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires pour te faire avancer. Et nous ? Nous avons été bernés par ces programmes « de soutien » qui ne sont que des termes marketing pour attirer plus de pigeons comme nous.
Alors voilà, Fils. Je sais que tu aimais ton collège. Je sais que tu aurais voulu poursuivre jusqu’au bout, surtout parce que les cours d’espagnol te stimulent.
Mais au public, on t’accepte tel que tu es. Ce système est régi par la Loi sur l’Instruction publique qui oblige le système à te scolariser. Contrairement à mes idées préconçues, façonnées par 14 ans d’éducation au privé, tu n’es pas perçu comme un numéro ou un employé, mais plutôt comme une personne qui est capable d’apprendre, qui a du potentiel. Ton professeur adapte son enseignement à toi. Tu es libre d’apprendre à ton rythme.
Laisser un commentaire